Conduite à tenir par les commissaires enquêteurs à l’égard des enquêtes publiques commencées ou devant se dérouler pendant la nouvelle période de confinement prévue jusqu’au 1er décembre 2020
30 oct 2020
Fiche CNCE
Le Président de la République vient d’arrêter une nouvelle période de confinement. Celle-ci devrait durer au minimum jusqu’au 1er décembre 2020.
Dans l’attente d’éventuelles directives gouvernementales relatives aux enquêtes publiques en cours ou devant se dérouler pendant cette période de confinement, la CNCE conseille aux commissaires enquêteurs la marche à suivre suivante :
1. S’agissant des enquêtes en cours de déroulement et susceptibles de se terminer au plus tard en fin de semaine prochaine, un certain nombre de permanences ayant déjà été effectuées et compte tenu du fait que jusqu’à la fin de l’enquête le public pourra continuer à envoyer ses observations, soit par courrier, soit par la voie électronique, il est tout à fait possible de continuer ces enquêtes jusqu’à leur terme (des exemples jurisprudentiels joints en annexe, montrent que le risque d’annulation contentieuse est pratiquement inexistant). La remise ultérieure du PV de synthèse ainsi que les divers échanges, (s’agissant notamment d’une commission d’enquête) pourront se faire soit par courrier, soit par voie numérique (par courriels, voire par vidéo).
2. S’agissant des enquêtes venant juste de débuter ou ayant débuté depuis une quinzaine de jours maximum, par exemple, il est tout à fait possible à l’autorité organisatrice de l’enquête de suspendre par arrêté cette enquête en cours en usant de la procédure décrite à l’article L.123-14 du Code de l’environnement, pendant une période maximum de 6 mois, puis de reprendre cette enquête en suivant les prescriptions détaillées à l’article R.123-22 du Code de l’environnement lorsque les conditions de déroulement de l’enquête seront de nouveau favorables.
3. S’agissant des enquêtes n’ayant pas encore débuté ou prévues pendant la période de confinement, et qui font l’objet d’un arrêté d’organisation déjà publié, il est suggéré qu’un nouvel arrêté d’organisation annule l’arrêté précédent et que l’enquête prévue soit reportée à une date ultérieure lorsque les conditions de déroulement de l’enquête seront de nouveau favorables.
4. S’agissant des enquêtes n’ayant pas encore débuté, mais devant commencer par exemple une semaine avant le 1er décembre 2020, il est suggéré, sous réserve que la période de confinement ne soit pas prolongée au-delà du 1er décembre de suivre la procédure décrite au 1° ci-dessus.
En tout état de cause, il n’appartient pas au commissaire enquêteur (ou au président de la commission d’enquête) de décider des dispositions à prendre. Cette responsabilité incombe à la seule autorité organisatrice de l’enquête pour laquelle le commissaire enquêteur (ou président de la commission d’enquête) a été désigné.
Mais le commissaire enquêteur (ou président de la commission d’enquête) peut utilement se rapprocher de cette autorité organisatrice (préfecture, collectivité territoriale), et en concertation avec celle-ci, lui conseiller de choisir une des solutions préconisées ci- dessus, sous réserve de directives gouvernementales plus précises, non connues à ce jour.
A titre d’exemple, des préfets ont déjà pris position, comme le préfet de Dordogne :
« Suite à l'annonce du président de la République hier soir d'un nouveau confinement à compter de ce jeudi 29 octobre 2020 à minuit avec un maintien des services publics, l'application dans le département par le préfet de la Dordogne se traduit par un maintien des enquêtes publiques.
En conséquence, les enquêtes publiques qui se déroulent actuellement doivent se poursuivre et celles qui doivent démarrer prochainement devront se tenir comme prévu.
Pour permettre aux commissaires enquêteurs (trices) d'accomplir leurs missions dans les meilleures conditions possibles, ils (elles) devront se munir, pour chaque déplacement aux permanences en mairie, de leur attestation dérogatoire en cochant le motif de déplacement : déplacement pour participer à des missions d'intérêt général sur demande de l'autorité administrative et de l'arrêté d'ouverture d'enquête pour laquelle il (elle) a été nommée.
Concernant les mairies des communes concernées par les permanences des enquêtes publiques, je vous remercie de bien vouloir m'informer des difficultés éventuelles que vous rencontreriez pour maintenir le bon déroulement de ces enquêtes. » ■
5 nov 2020
Doctrine du CGDD en charge de la réglementation des enquêtes publiques sur la tenue des enquêtes publiques dans le cadre de la nouvelle période de confinement
1. Participation aux enquêtes publiques dans le cadre du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire
Les rassemblements, réunions ou activités sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public non interdits par ce décret peuvent être organisés (article 3) à la condition que soient mises en place les conditions de nature à permettre le respect des mesures d’hygiène et de distanciation sociale, dites « barrières » et dès lors qu’ils ne mettent pas en présence de manière simultanée plus de six personnes.
Les enquêtes publiques, et notamment les permanences des commissaires-enquêteurs, les visites des lieux par ces derniers, ne sont pas visées par l’interdiction prévue par ce décret, dès lors que la limite maximale de six personnes en présence simultanée est respectée. En effet, les services publics doivent rester ouverts et les missions d’intérêt général doivent continuer à être assurées, ce qui concerne tant les permanences des commissaires-enquêteurs que l’accès du public au dossier d’enquête publique en version papier lorsqu’il ne peut pas accéder au dossier numérique. En revanche, si le décret du 29 octobre n’interdit pas les réunions publiques qui peuvent être demandées par le commissaire-enquêteur en application du II de l’article L. 123-13 du code de l’environnement, elles ne pourront pas excéder 6 personnes, ce qui questionne sur leur utilité et l’effectivité des débats. En conséquence, il ne semble pas qu’il soit opportun de les maintenir en présentiel. Il est recommandé de les prévoir par voie dématérialisée, et, si possible, en assurant un libre accès via un poste informatique a minima dans les préfectures, tout en respectant les mesures d’hygiène et de distanciation sociale.
S’agissant des dérogations à l’interdiction de déplacement hors de son lieu de résidence prévues par le décret du 29 octobre, deux d’entre elles semblent applicables aux enquêtes publiques :
- Les déplacements pour se rendre dans un service public pour un acte ou une démarche qui ne peuvent être réalisés à distance sont autorisés (7° du I de l’article 4 du décret). Cette exception pourrait s’appliquer au public souhaitant participer à une enquête publique et se trouvant dans l’impossibilité de le faire à distance.
- Les déplacements pour participer à des missions d'intérêt général sur demande de l'autorité administrative sont autorisés (8° du I de l’article 4 du décret). Cette exception pourrait s’appliquer aux commissaires-enquêteurs se déplaçant dans le cadre de leurs missions, en leur qualité de collaborateurs occasionnels du service public.
2. Possibilités d’interrompre des enquêtes publiques au cas par cas
En l’absence d’ordonnance suspendant les délais, des décisions d’interruption ou de suspension d’enquêtes publiques peuvent être prises, au cas par cas, sur la base des articles L.123-14 (suspension de l’enquête publique) et L. 123-4 (interruption de l’enquête publique) du code de l’environnement, dès lors que les critères fixés par ces dispositions sont remplis.
Dans le contexte actuel, lorsque le commissaire-enquêteur est empêché (par exemple, en cas de test positif à la covid 19 ou s’il est « cas contact »), l’article L.123-4 du code de l’environnement prévoyant l’interruption l’enquête publique en cas d’empêchement du commissaire-enquêteur constitue le dispositif le plus approprié à mettre en oeuvre.
3. Sur les recommandations de la CNCE (voir ci-dessus)
Les délais des enquêtes publiques n’étant pas suspendus par ordonnance, les recommandations figurant dans la fiche CNCE concernant la suspension générale des enquêtes publiques « venant juste de débuter ou ayant débuté depuis une quinzaine de jours maximum » (point n°2 de la fiche) semblent disproportionnées au regard des mesures Covid en vigueur.
En outre, elles ne sont pas fondées légalement. En effet, l’article L. 123-14 du code de l’environnement ne correspond pas au cas d’espèce. Cet article prévoit la suspension de l’enquête à l’initiative de l’autorité compétente dans l’hypothèse où « la personne responsable du projet, plan ou programme estime nécessaire d'apporter à celui-ci, à l'étude d'impact ou au rapport sur les incidences environnementales afférent, des modifications substantielles ». L’article R. 123-22 du code précité prévoit d’ailleurs dans ce cas que le dossier d'enquête initial soit complété dans ses différents éléments, et comprenne notamment une note expliquant les modifications substantielles apportées au projet, plan ou programme par rapport à sa version initialement soumise à enquête.
Par ailleurs, la préconisation de la CNCE visant le retrait de l’arrêté d’ouverture de l’enquête et le report de celle-ci pour les enquêtes publiques « n’ayant pas encore débuté ou prévues pendant la période de confinement, et qui font l’objet d’un arrêté d’organisation déjà publié » (point n°3 de la fiche) n’est pas compatible avec la continuité du service public, objectif recherché par le décret du 29 octobre précité. En effet, en application de ce décret, le public peut contribuer à l’enquête publique à distance et en présentiel lors des permanences des commissaires-enquêteurs organisées dans les conditions évoquées en I. Le report ne peut être envisagé que si l’accueil du public ne peut être assuré dans des conditions satisfaisantes de sécurité et dans le respect des règles sanitaires.
12 nov 2020
Commentaire de la CNCE :
En l'absence d'ordonnance concernant les procédures de participation du public pour cette nouvelle période de confinement, le CGDD (Commissariat général au développement durable / Ministère de la Transition écologique) s'en tient strictement à la réglementation en vigueur et s'agissant notamment de la possibilité de suspendre ou d'interrompre une enquête publique, il ne peut que s'en référer aux articles L.123-4 et L.123-14 du Code de l'environnement qui enferment ces possibilités dans de strictes dispositions. C'est la raison pour laquelle il remet en cause dans son point III la fiche de la CNCE élaborée dès le 30 octobre.
Rappelons que cette fiche n'avait pour but que de fournir à tous les commissaires enquêteurs des éléments de langage dans le dialogue qu'ils ont ou pourraient avoir avec les autorités organisatrices de l’enquête, dont spécialement les maires. La fiche de la CNCE, au-delà des textes en vigueur, tient compte de la réalité de la pratique et du droit jurisprudentiel régissant les enquêtes publiques, dont notamment la fameuse jurisprudence DANTHONY du Conseil d'Etat qui ne retient plus désormais en cas de recours contentieux, comme vice substantiel de nature à annuler une décision prise à l'issue d'une enquête publique, uniquement un vice qui a :
- empêché la participation du public ;
- privé le public d'une garantie fondamentale ;
- ou a eu un sens sur la décision prise à l'issue de l’enquête.
C'est ainsi qu'au fil des ans, le défaut d'affichage, l'absence d'une publication dans la presse ou le fait pour un commissaire enquêteur d'avoir "manqué" une ou deux permanences n'a pas été retenu comme vice substantiel dès lors que le public avait participé à l'enquête publique. C'est dans cet esprit qu'il faut comprendre la fiche rédigée par la CNCE et compte tenu des circonstances exceptionnelles que nous traversons, il est peu probable qu'une décision d'interruption ou de suspension d'enquête ne respectant pas exactement les critères fixés par la réglementation, mais prise pour permettre justement une meilleure participation du public, puisse encourir la censure du juge administratif, d'autant qu'à la connaissance de la CNCE, aucune jurisprudence n'existe sur ces deux points précis (interruption ou suspension), par manque probablement de recours contentieux ayant soulevé un de ces deux moyens. En tout état de cause, et comme précisé dans la fiche, la décision appartient à l'autorité organisatrice de l'enquête qui peut toujours, si elle le souhaite, prendre le risque (juridiquement très limité, comme indiqué précédemment) d'utiliser un de ces deux moyens sans respecter fidèlement les critères définis par la réglementation, notamment si elle estime que le projet soumis à enquête et ses enjeux le justifient.
Exemples Jurisprudentiels
NB : Ces jurisprudences sont anciennes et ne tiennent pas compte de la voie numérique de participation du public devenu obligatoire depuis l’ordonnance du 3 août 2016.
1°) Le juge tient compte de la participation du public et notamment du nombre d’observations recueillies pour apprécier la régularité de la durée des permanences. Le Conseil d’État a ainsi pu estimer que « compte tenu du nombre d'observations recueillies au cours de l'enquête, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les permanences ont été trop courtes et n'auraient pas permis au public de s'exprimer, et que, par suite, sa liberté d'expression aurait été méconnue ».
Conseil d’Etat N°301151 du 26 novembre 2008
«…que ces dispositions n'imposent pas que le nombre des permanences assurées en mairie par les membres de la commission d'enquête coïncide avec le nombre de jours de l'enquête publique ; que, compte tenu du nombre d'observations recueillies au cours de l'enquête, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les permanences ont été trop courtes et n'auraient pas permis au public de s'exprimer, et que, par suite, sa liberté d'expression aurait été méconnue ; qu'il n'est pas démontré qu'une personne aurait été empêchée d'accéder au registre d'enquête »
2°) De même le fait que le commissaire enquêteur n'aurait pas tenu une des permanences annoncées n'a pas privé les habitants de la possibilité de consulter le dossier.
Conseil d’Etat N°256608 du 11 juin 2004
« Considérant que, si la commune d’Anthony soutient que le commissaire enquêteur n'aurait pas tenu une des permanences annoncées à Rungis, il ressort des pièces du dossier que cette circonstance n'a pas eu pour effet de priver les habitants de la commune de Rungis de la possibilité de prendre connaissance du dossier soumis à l'enquête publique, dès lors notamment qu'ils ont pu le consulter en mairie ».
3°) Et dans le même sens, il a pu être jugé que l'absence du commissaire enquêteur à l'une des trois permanences prévues était dépourvue d'incidence sur la régularité de l'enquête, dès lors que celle-ci n'avait pas eu pour effet de priver quiconque de la faculté de présenter des observations.
CAA de Nancy N°08NC00005 du 18 décembre 2008
« Considérant que si M. X fait valoir que les personnes intéressées par le projet n'ont pas été en mesure de faire connaître leurs observations au commissaire enquêteur, dès lors que celui-ci n'avait prévu de recevoir le public qu'à trois dates différentes, à raison de deux heures par jour, et a finalement été absent lors de la dernière date prévue, il n'est pas établi que cette absence ait eu pour conséquence de priver quiconque de la faculté de présenter des observations, alors notamment que le commissaire enquêteur s'est tenu à la disposition du public les 28 décembre 2004 et 11 janvier 2005 de 16 heures à 18 heures et que les personnes qui se sont présentées en vain pour le rencontrer le 21 janvier 2005 ont déposé à cette occasion des observations écrites, dont le commissaire enquêteur a effectivement pris connaissance ainsi que cela ressort du rapport qu'il a établi à l'issue de l'enquête publique ; que cette enquête n'est, dans ces conditions, pas entachée d'irrégularité ».
4°) Enfin, dans un arrêt encore plus ancien, il est vrai, le fait que la mairie ait été fermée pendant plusieurs des permanences programmées dans l'arrêté n'a pas privé le public du droit de consulter le dossier.
Conseil d’Etat N°124069 du 14 décembre 1992
« Considérant que si, contrairement aux dispositions de l'arrêté préfectoral prescrivant l'enquête, la mairie de deux des communes concernées aurait été fermée pendant plusieurs des permanences qui devaient être assurées, il n'est pas établi que certaines personnes ont été privées du droit de consulter le dossier ; qu'ainsi, cette circonstance, eu égard, en outre, au fait que les fermetures auraient eu lieu pendant les congés de fin d'année et que l'enquête a duré 57 jours, n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la procédure ».